L’un des faits marquants de la politique néo-ottomane de la République turque consiste à continuer à s’approprier et à détruire le patrimoine culturel, historique et religieux du peuple arménien.
Cette ligne politique continue s’étend sur une longue période: du sultanat au Jeunes Turcs jusqu’à Kémal Pacha. Elle a revêtu une forme particulièrement atroce pendant les années du génocide subi par les Arméniens, de 1894 et 1923 et perpétré par les différents gouvernement turcs en Arménie Occidentale, en Cilicie et à l’intérieur de la Turquie ottomane.
Tant que l’opinion internationale n’aura pas jugé dans son intégralité cet horrible crime de génocide (crime contre l’humanité et la civilisation), tant que des dédommagements ne seront pas actés, le processus génocidaire continue jusqu’à aujourd’hui sous diverses formes y compris le génocide culturel.
Dans ce contexte, il est indispensable d’anticiper concernant le futur devenir de cet héritage millénaire que l’on nommait et nomme encore «le berceau», sans oublier qu’il appartient à ceux qui sont à l’origine de la spiritualité, de l’humanisme et de la culture de notre monde actuel.
Une partie importante de notre ancienne civilisation résulte de l’apport culturel et spirituel du peuple arménien et se trouve actuellement et malheureusement aux mains de l’Etat qui a commis ces crimes et qui, sciemment et aux yeux du monde entier, montre encore sa barbarie vis-à-vis de la culture d’un autre peuple – créateur de ces trésors.
Il faut reconnaître que sur une longue période, méthodiquement et continu, la politique néo-ottomane de la Turquie «développe» une tradition instituée par les Jeunes Turcs en détruisant l’héritage culturel et spirituel arménien.
A l’anéantissement physique de la majeure partie du peuple autochtone arménien du pays pendant le génocide perpétré de la fin du XIXe siècle au début du XXe, succède en s’intensifiant le processus de déracinement de tout ce qui revenait au peuple arménien.
A partir de 1928, débute la rebaptisation de tous les sites historiques, nationaux existant sur le territoire de l’Arménie occidentale. Plus de 90% des toponymes arméniens sont turquifiés, les noms géographiques de l’Arménie occidentale changés. Des centaines de monuments architecturaux sont transformés en mosquées, est détruit tout ce qui est d’origine arménienne ou relatif aux Arméniens, à leur culture, leur histoire.
L’armée turque utilise les monuments, les églises, les chefs d’oeuvre architecturaux comme cibles de tir pendant les exercices d’entraînement, ce qui constitue un acte de barbarie pour tout Etat moderne si, bien sûr, on fait abstraction de groupes terroristes tel que Daech!
Les rares églises encore debout servent d’étables, de silos, de prisons. Sont créés des documents officiels falsifiés, des publications se disant scientifiques qui dénaturent l’histoire et la civilisation arméniennes ou bien les effacent.
Toute une «base normative» est constituée, «un vandalisme légalisé», autorisant de raser les monuments, d’utiliser leurs pierres comme matériau de construction, d’organiser des fouilles illégales, à la recherche d’objets précieux.
«Les chercheurs d’or» avec la bénédiction du gouvernement turc détruisent absolument tout! Ces monuments n’appartiennent pas à la Turquie, ils sont l’héritage de l’humanité. Perdre ces monuments constitue un acte irréparable. La destruction comme l’appropriation des monuments culturels arméniens sont des actes continuateurs du génocide des Arméniens. Au génocide physique succède le génocide culturel!
Citons quelques exemples parmi une multitude :
Le mont Nemrut représente le panthéon des dieux arméniens antiques. Ils s’y dressent entre autres les statues – hautes de 8-9 mètres – des dieux Aramazd, Mitra, Vaaghn, Anaït, Astrik. Les Turcs se sont appropriés une sculpture d’Antioche Ier Theos, érigée en 62 av. J.C. en l’honneur du roi du même nom de la dynastie arménienne des Ervandides et prétendent qu’elle fait partie de leur histoire.
Portabelur – (Guebekli Tepe en turc); mont Poupotchny (en russe) – est une ancienne ville du Plateau arménien avec un ensemble de plusieurs temples et, des observatoires. Il s’agit du plus ancien ensemble au monde de l’époque mégalitique. Il a plus de 12 000 ans. Il figure parmi les découvertes majeures de notre époque. C’est le premier édifice religieux construit par l’homme. Il a été rebaptisé également par un nom turc.
Les ruines de la ville d’Ani représentent les vestiges du «siècle d’or» arménien. Elle était la capitale arménienne du royaume d’Ani. Une ville très importante pour l’époque, aux «mille et une» églises, il ne reste que des ruines que des vandales continuent à détruire. Les Turcs l’ont rebaptisée «Ana» et essaient de l’inscrire au patrimoine mondial comme leur appartenant.
Ils s’en sont également pris aux valeurs bibliques: le Mont Ararat, l’un des symboles fondamentaux des Arméniens et l’ont renommé «Agri»!
Pour ce qui est de l’héritage culturel. Selon des données officielles, au début de l’année 1914, le nombre d’églises et monastères arméniens sur le territoire de l’Arménie Occidentale et de l’Empire ottoman était de 2 549 édifices (y compris les monuments des débuts du christianisme des IVe et Ve siècles). Leur majorité a été pillée, brûlée et détruite pendant la période du génocide. En 1974, l’UNESCO a relevé qu’après 1923, sur les 913 monuments architecturalement remarquables 464 ont été totalement détruits, 252 ne sont plus que des ruines, 197 nécessitent une reconstruction totale. Mais à l’heure actuelle, il n’y a plus rien à réhabiliter – la Turquie a, depuis, planifié leur destruction.
La politique actuelle des continuateurs néo-osmaniens dénie également le droit de restitution de la résidence de Sis du Catholicossat de Cilicie, usurpée au début du XXe siècle par le gouvernement turc suite au génocide.
La politique actuelle de la Turquie a conduit à la quasi disparition de la langue arménienne occidentale. En cause: la déportation des Arméniens d’Arménie Occidentale et l’impossibilité de réintégrer leur patrie historique donc de l’utiliser, ce qui est un droit fondamental.
Pour exemple flagrant de la politique néo-ottomane et assimilatrice menée: la relation avec les Arméniens Hamshen qui dans leur grande majorité ont été islamisés de force. Nombreux sont ceux qui ont perdu leurs racines, leur identité nationale, ne se sentent pas descendants d’Arméniens, se dénomment eux-mêmes comme khemshils. Récitant des prières en arménien occidental (comme le «Notre Père»), certains sont persuadés qu’il s’agit d’une prière khemshile en langue turque. Ou encore, s’agissant de chefs d’oeuvre d’architecture tels les magnifiques ponts Hamshen à un arc, uniques en leur genre et datant du Moyen Age, les Turcs se les attribuent sans honte aucune. Nous nous devons d’utiliser toutes les possibilités pour aider nos frères et nos soeurs Hamshen à se réapproprier leurs racines arméniennes.
Concernant l’artisanat et en particulier l’art des tapis, les Turcs s’attribuent le tissage arménien jusqu’à les faire venir d’Arménie (orientale) ou en les imitant – y compris en reproduisant les symboles, les couleurs -, affirmant qu’il s’agit de leur patrimoine national turc.
Ils sont si scrupuleux et dénués de principes au point d’avoir fait leur notre chant patriotique (Hymne national de l’Arménie Occidentale), «Zartnir lao mernim kézi» – l’unique berceuse au monde où la mère appelle son fils pour défendre la Patrie. Ce chant accompagnait nos soldats-fedayis au front alors que l’équipe de football turque l’utilise comme hymne mais avec des paroles turques.
Notre cuisine traditionnelle ancestrale est également «expropriée par nos voisins». C’est facile à prouver si on se réfère aux sources.
Ainsi c’est le cas du blé, mais on pourrait également citer d’autres produits. On sait que la patrie du blé se situe sur le Plateau arménien. Jusqu’à maintenant 3 à 4 variétés sont considérées comme exclusivemtn arméniennes. Depuis les temps les plus anciens, les Arméniens s’occupaient de traiter le blé. Boulghour, pokhindz, korkot, dzavar, atchar – représentent les différentes variétés du blé utilisés en cuisine arménienne.
Les plats que les Turcs et autres voisins «avec l’aide de l’UNESCO», essayent ou se sont appropriés sont en fait depuis des temps immémoriaux des spécialités arméniennes. Leur préparation technique en témoigne avec l’utilisation du «tondyr» ou «tonyr» et ils portent des noms arméniens. Il en est de même pour le lavash et le madnakasha.
Ainsi que le prédisent certains, après avoir homologué comme leur le plat national nommé «kashik» (kashel, en arm.), les Turcs souhaiteront s’approprier le «tondyr» (qui était le symbole du Soleil sur terre à l’époque où les Arméniens étaient adorateurs du Soleil). Ce «tondyr» remplissait plusieurs fonctions: il était utilisé en cuisine, pour chauffer la maison, pour rétablir le malade en convalescence.
Tout cela se fait dans le but de donner aux Turcs la possibilité de prétendre être le peuple premier du Plateau arménien. Mais quoi qu’ils fassent, qu’ils falsifient leur propre histoire, l’histoire se souvient d’eux en tant que nomades sanguinaires qui se sont emparés des terres d’autrui, de leurs biens et de leur patrimoine culturel.
La République turque est membre de l’UNESCO. Il est temps pour l’UNESCO et les autres organisations internationales de s’en tenir aux principes de l’histoire authentique, du droit, des normes d’éthique et non pas, comme à l’heure actuelle, de pratiquer un double langage.
Espérons qu’il se trouvera au sein de l’UNESCO et d’autres instances internationales des spécialistes honnêtes qui pourront mettre fin au vandalisme qui perdure et auront le goût de s’atteller à l’étude des sources historiques authentiques et non de travailler sur des faits rapportés ou inventés. Cela touche non seulement l’histoire du peuple arménien mais celle du monde, son héritage culturel, spirituel et religieux.
Yuliya Guloyan, responsable de la commission culturelle, membre du présidium de l’union des femmes arméniennes «Hamshenian».
17.11.2016