Aujourd’hui, nous sommes témoins du comportement diplomatique souligné du président turc Recep Tayyip Erdogan ces dernières années, selon lequel la Turquie se rapproche de la Russie ou se rapproche légèrement de l’Occident. En outre, ce comportement est également caractéristique de la politique étrangère globale de la Turquie au cours de la période récente. Cela se fait dans l’espoir qu’Ankara recevra les dividendes qu’elle recherche depuis longtemps.
Cette opinion a été exprimée par l’académicien Ruben Safrastyan, turcologue, conseiller du directeur de l’Institut d’études orientales de l’Académie nationale des sciences d’Arménie, dans une interview accordée à “Armenpress”, à propos des changements intervenus dans les relations entre la Turquie et l’Occident.
Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé que la Turquie avait accepté de confirmer l’adhésion de la Suède à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, et les médias turcs ont noté que le gouvernement turc avait reçu le soutien total de l’Occident pour la levée des sanctions et la libéralisation des régimes de visas.
“Les livraisons d’avions américains F-16 modernisés sont également extrêmement importantes pour la Turquie. La question a été soulevée à nouveau il y a deux jours lors d’une conversation téléphonique avec le président américain Joe Biden, tenue à l’initiative d’Erdogan, et le dirigeant turc a probablement reçu certaines promesses. Le soutien financier et économique de l’Occident est certainement important pour la Turquie, d’autant plus que l’économie turque et surtout le système financier sont dans une situation très difficile après le tremblement de terre dévastateur”, a déclaré M. Safrastyan.
Selon lui, la position du ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, est extrêmement importante dans ce dossier. Il ne faut pas oublier qu’il a fait ses études supérieures et acquis son expérience aux États-Unis et qu’il a été impliqué dans l’OTAN pendant de nombreuses années. Fidan a une mentalité plus pro-occidentale, contrairement à Cavusoglu, et représente des cercles plus pro-américains de l’élite politique turque.
Safrastyan pense qu’Ankara a de nouveau soulevé la question de l’adhésion à l’UE, d’autant plus que ce processus a été gelé par l’UE ces dernières années. Si la Turquie soutient la Suède sur la voie de l’adhésion à l’OTAN, cette dernière a promis de soutenir la Turquie dans l’intégration européenne, bien qu’il s’agisse d’un processus plutôt compliqué et long. Quoi qu’il en soit, Erdogan tente de récolter des dividendes en échange d’une énième courbette à l’Occident, réalisant ainsi ses objectifs de longue date.
Faisant référence à la déclaration du chancelier allemand Olaf Scholz selon laquelle l’adhésion de la Suède à l’OTAN ne peut être liée à l’intégration européenne de la Turquie, M. Safrastyan a souligné que l’UE ne permettra jamais que cette question soit négociée.
“Ce problème est lié à des phénomènes fondamentaux. L’UE a fixé des exigences pour la Turquie, et ce n’est que si elles sont remplies que cette dernière peut devenir membre de l’Union européenne, et Ankara n’a pas l’intention de remplir ces exigences. Nous parlons de la protection des droits de l’homme dans ce pays, des répressions qui existent encore, de sorte qu’à ce stade, la volonté d’Erdogan d’adhérer à l’UE n’est pas sérieuse, ce n’est qu’une partie du jeu global. La Turquie se rend compte qu’il est impossible de devenir membre de l’UE avec un accord aussi ouvert, les contradictions sont très profondes”, a noté l’académicien Safrastyan.
À propos des efforts de médiation de la Turquie dans le contexte du conflit russo-ukrainien, M. Safrastyan a fait remarquer que même si la partie turque, en violation de l’accord conclu avec Moscou, a renvoyé en Ukraine cinq commandants du bataillon Azov ainsi que Vladimir Zelensky, qui s’était rendu en Turquie, cette mesure ne doit pas être considérée comme un changement radical de politique par rapport à la Russie.
“C’est aussi un calcul. Ankara et Moscou comprennent parfaitement que le niveau actuel des relations est très bénéfique pour les deux parties. La Turquie n’adhère pas aux sanctions contre la Russie étant donné la mise en œuvre de grands projets communs dans divers domaines. Même si des démarches et un durcissement de la position de Moscou sont à prévoir dans un avenir proche, cela ne signifie pas que ces pays renonceront à un niveau de coopération assez élevé. D’autre part, la Turquie possède des ressources pour manœuvrer entre la Russie et l’Occident, même si cette zone est relativement petite, car la Turquie est une partie stratégiquement inséparable de l’Occident, un allié des États-Unis et un membre engagé de l’OTAN”, a expliqué M. Safrastyan.
Il n’a pas exclu l’idée, qui circule parmi les experts, que l’orientation politique susmentionnée d’Ankara, avec ses nouvelles manifestations attendues, pourrait progressivement causer des problèmes dans les relations avec Moscou, ce qui aurait un certain impact sur la situation dans le Caucase du Sud également.
“Si l’on en juge par l’évolution actuelle, on peut conclure à un certain renforcement de la position de la Russie dans notre région en ce qui concerne le duo turco-azerbaïdjanais, mais cela ne conduira pas à des changements majeurs ou à des réorientations spectaculaires de la même politique russe à l’égard de la Turquie. Quant aux relations arméno-turques, Ankara lie sans ambiguïté ce processus au règlement du conflit arméno-azerbaïdjanais et ne changera jamais d’attitude à l’égard de l’Arménie. Si la partie arménienne accepte les exigences maximalistes de l’Azerbaïdjan, sur la base desquelles un accord sera signé, la Turquie prendra quelques mesures positives, mais incomplètes. Dans le cas contraire, nous ne devons rien attendre d’Ankara”, a conclu l’académicien Safrastyan.
Manvel Margaryan