Armen Ter-Sarkissian : «La Question Arménienne et la politique néo-ottomane de la Turquie: défis et menaces»

Exposé spécial dans le cadre du meeting international concernant le Proche Orient «La politique néo-ottomane de la Turquie: défis et menaces», avec la participation d’experts et de politologues reconnus venus de Russie, d’Arménie, de Syrie, d’Iran, de Turquie, d’Irak et d’Israël, sous l’égide de l’Agence fédérale d’information «REGNUM», Russie.

La politique néo-ottomane  adoptée actuellement par la République turque se révèle être la répétition de la politique  de l’Empire ottoman et de la République turque des années 1894-1923. C’est une politique extrêmement dangereuse, dissimulant « menaces et défis » tant pour les peuples habitant à l’intérieur de la Turquie que pour ceux de la région du Moyen-orient.

L’Empire ottoman est reconnu en histoire comme la prison commune des peuples. Ainsi, pendant des siècles, cet Empire s’est dressé contre la liberté, la possibilité d’un développement civilisé et contre le droit naturel de chaque peuple vivant sur le territoire de l’Empire. Cette situation s’est aggravé à partir de la première moitié du XIXe siècle lorsque l’Empire a commencé à mener une politique pan-osmaniste puis, à partir de 1873-1874, pan- turquiste.

Cela a conduit au génocide, à la déportation des populations non turques vivant sur le territoire de l’Empire; les premières victimes furent les Arméniens chrétiens de 1894 à 1923. En 1916-1923, les Grecs à leur tour ont subi génocide et déportation forcée; en 1914-1923 c’est au tour des Assyriens. Pendant trente années, de la fin du XIXe siècle au début du XXe, pendant les mandats successifs de trois gouvernements – du sultan, des Jeunes Turcs et des Kémalistes – s’est perpétré un génocide qui a exterminé plus d’un million et demi d’ Arméniens vivant sur leur terre historique – sur le plateau arménien là, où avaient vécu depuis de nombreux millénaires leurs ancêtres.Environ autant d’Arméniens furent déportés et des centaines de milliers – dont femmes et enfants – islamisés de force.

Les gouvernements de Grande Bretagne, France et Russie ont été les premiers à condamner ce génocide dans leur déclaration du 24 mai 1915 en qualifiant les actions du gouvernement turc envers les Arméniens en Arménie   de

«nouveau crime contre l’humanité et la civilisation» et ont «mis en garde leurs organisateurs et exécutants de leur culpabilité criminelle». Plus tard, de nombreux pays progressistes ont reconnu et condamné ce crime monstrueux commis par la Turquie. Ce processus de reconnaissance continue jusqu’à aujourd’hui. Il convient de souligner que même le Gouvernement turc, en la personne du tribunal militaire spécial de Constantinople, en 1919-1920, a jugé pour ces crimes les dirigeants jeunes Turcs du gouvernement – condamnant plusieurs d’entre eux à la peine maximale – la peine capitale .

Si à la fin du XIXe siècle s’est posée une Question arménienne, au début du XXe (1918-1920) un certain nombre de mesures ont été prises concernant les droits des Arméniens y compris relativement à un Gouvernement d’Arménie (sous-entendu une Arménie unifiée – orientale et occidentale).

En particulier:

– Le 13 janvier 1918: le Gouvernement russe (SOVNARKOM) a édicté le décret « sur l’Arménie turque» (concernant l’Arménie occidentale);

– Le 19 janvier 1920, à la Conférence de Paris, le Conseil Suprême des Puissances alliées a reconnu de facto l’indépendance de l’Etat arménien;

– Le 11 mai 1920, le Conseil Suprême des Gouvernements alliés a reconnu de jure l’indépendance de l’Etat arménien;

– Le 10 аoût 1920 a été signé le traité de paix de Sèvres, les paragraphes 88 à 93 concernent la souveraineté et l’indépendance de l’Arménie;

-Le 22 novembre 1920, le 28ème Président des Etats Unis Woodrow Wilson a adopté une Sentence arbitrale concernant les frontières internationales de l’Arménie et de la Turquie.

Les instances dirigeantes actuelles de la Turquie continuent non seulement de mener une politique négationniste concernant le génocide subi par les Arméniens mais refusent encore de reconnaître leurs droits officiellement reconnus ainsi que ceux de leur Etat au cours des années 1918-1920. De plus, elles continuent d’appliquer la politique des gouvernements turcs précédents – une politique panislamiste, panturque –constituant une nouvelle menace  et un défi autant pour les peuples de leur République turque que pour les peuples voisins.

La menace constituée par la politique néo-ottomane de la République turque s’est pleinement illustrée au Proche Orient – durant les guerres d’Irak, de Syrie – lorsque le gouvernement de la République a commencé à soutenir l’opposition syrienne y compris les groupes terroristes extrêmes (Daech et autres). Cela a conduit à l’invasion puis l’occupation des régions nord limitrophes de la Syrie, à la catastrophe humaine dans Alep assiégée et au chantage avec l’Europe au sujet des réfugiés.

Le Président de la Russie Vladimir Poutine a défini avec exactitude la portée de l’incident du bombardier russe SU-24 des forces russes, sabordé par la Turquie le 24 novembre 2015 dans le ciel syrien: « un coup porté dans notre dos par les complices des terroristes».

Il est important de souligner que le 9 novembre 2016, la Commission Européenne dans son bilan annuel a accusé la Turquie de diffuser à travers son territoire des déclarations insufflant la haine à l’encontre des Arméniens, et des menaces contre les peuples autochtones de son territoire, minorités nationales et religieuses. Dans un paragraphe spécial, elle souligne que «les autorités turques continuent à réagir durement envers tout pays reconnaissant le Génocide perpétré à l’encontre des Arméniens. la Commission Européenne a également accusé  la Turquie de soutenir ouvertement l’Azerbaïdjan lors de la guerre de quatre jours en avril 2016 au Nagorno- Karabakh. «Tout cela est extrêmement préoccupant», est-il noté dans le rapport.

Pendant les journées de guerre en Artsakh, pour détourner l’attention des gens de la planète, les autorités de la République turque, pour dédouaner l’Azerbaïdjan de son agression, ont fixé le débat sur les frontières de la République arménienne et de l’Artsakh.

Il est inutile de préciser qu’ils n’y parviendront pas et que tout se terminera là où cela a commencé – y compris en Arménie occidentale, par l’instauration d’une République d’Arménie occidentale.

Il ne faut pas perdre de vue le fait que le Traité de Sèvres de 1920 est par essence un traité de paix et en ratifiant ce traité, il est possible d’instaurer au Proche Orient une paix durable et un partenariat sincère.

La mission de paix pour la région, incombant au Traité de paix de Sèvres, n’est pas accomplie. Une réelle coexistence pacifique ne pourra s’instaurer qu’à la condition du respect des droits des Arméniens, Assyriens, Grecs, Alévites, Arabes, Kurdes et même Turcs.

Seule la réalisation des droits de tous les peuples de cette région et l’instauration d’une paix tant attendue leur permettra de vivre, se développer, d’avoir un avenir. Il en sera de même pour les Arméniens et l’Etat d’Arménie en appliquant les articles du Traité de paix de Sèvres et de la Sentence arbitrale du Présent Woodrow Wilson.

Les agissements de la République turque, y compris sa politique néo-ottomane, dissimulent des menaces et des défis infiniment dangereux pour tous les peuples de la région.

Nous avons encore la possibilité d’éviter cela. On peut faire respecter les droits de chacun et de les appliquer de manière pacifique. Dépêchons-nous, demain il sera trop tard. Nous sommes confiants que la raison et la bonne volonté l’emporteront.

Armen Ter-Sarkissian

Président du Conseil National (Parlement) de l’Arménie Occidentale

17.11.2016

Traduction du russe par Beatrice Nazaryan, député au Parlement d’Arménie Occidentale

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